
Comment s’est faite la transition humanitaire/chercheure à écrivaine ?
Je n’ai pas eu de mal à passer de l’humanitaire à l’écrivaine parce qu’en réalité, l’écriture a toujours été ma passion. Que ce soit en tant que chercheure au Centre International de Recherches Africaines et Centre d’Études et de Recherche sur les Valeurs Africaines, ou encore en tant que consultante pour la Banque mondiale ou fonctionnaire internationale à l’UNESCO et au Programme Alimentaire Mondial (PAM) j’ai toujours « tenu le stylo » pour les besoins de rédaction des rapports de tous genres. Et donc, dès mon départ à la retraite, je n’ai eu aucun mal de passer de la rédaction des rapports (écriture non – fictionnelle) à l’écriture fictionnelle.
Votre recueil Makandal dans mon sang, publié en 2016, aux éditions La
Doxa, est présenté par la critique comme l’éloge des « identités multiples”.
Nous y voyons aussi, une manière d’apologie du déplacement, les cadres spatio-temporels utilisés sont indéniablement rattachés à de nombreux endroits où vous avez séjourné et avec lesquels vous avez des points d’attache.
En effet, « Makandal dans mon sang » a été ma première œuvre littéraire proprement dit. Et d’ailleurs cela se ressent à la lecture. L’identité d’un individu n’est pas un bloc de pierre ou de marbre immuable (et encore…car pierre et marbre ne sont pas si immuable comme on le croit !).
Un être humain a plusieurs identités. Par exemple, je suis Alphonsine Bouya selon le vouloir et les règles de l’administration coloniale car je suis née à l’époque coloniale.
Je suis Nyélénga Bouya pour mes parents et toute ma famille élargie des villages de mon père et de ma mère. Nyélénga, fille de Bouya pour me différencier de ma cousine quis’appelle aussi Nyélénga. La tradition de chez moi veut qu’on accole le nom du
père au nom de la fille.
Je suis ensuite Alfoncine (notez le changement d’orthographe) Nyélénga Bouya en tant qu’écrivaine. J’ai choisi Alfoncine avec « F » au lieu de « Ph » en hommage à la chanteuse argentine Mercédès Sosa pour sa chanson « Alfonsina y el mar » dont les paroles se sont incrustées en moi.
En plus de ces trois identités, il y a celles, parfois invisibles, qui façonnent, s’accumulent, se construisent au jour le jour par notre vécu, notre expérience,
nos choix, nos déplacements, nos mouvements.
Vos écrits ( « Le rendez-vous de Mombin-Crochu », « Un saut à Poto-Poto
») possèdent une forte charge littéraire, par l’emploi des nombreux surnoms donnés aux personnages et des références socio-historiques utilisées. Quel est la symbolique de l’usage de ces surnoms/ noms dans votre écriture ? En quoi les références socio-historiques auxquelles vous faites référence sont- elles révélatrices d’une certaine manière de votre vision du monde ?
Dans tous mes écrits, j’attribue aux personnages des noms tirés d’un répertoire immatériel de ma mémoire à l’instar du « patrimoine immatériel de l’UNESCO ». Autrefois, dans ma communauté d’origine (Koyo de la Cuvette congolaise) les femmes avaient des noms différents de ceux des hommes. Malheureusement avec l’administration coloniale et la christianisation qui voulaient que les enfants portent le nom du père et un prénom chrétien, les noms proprement féminins sont carrément en voie de disparition. Nommer mes personnages en utilisant ces noms c’est leur offrir une certaine immortalité, une éternité.
La plupart de ces noms sinon tous ont bien entendu une signification que généralement je mets entre parenthèses ou en notes de bas de page pour les lecteurs non-locuteurs de mes langues maternelles (car j’en ai deux).
Quels sont vos projets littéraires actuellement ?
J’ai un roman qui va paraitre au mois de mars aux éditions Les Lettres Mouchetées, et déjà j’ai attaqué un autre roman et un recueil de nouvelles. C’est au fur et à mesure de la progression de l’écriture que je déciderai de timing de leur parution.
En 1994, vous soulignez dans votre article Éducation des filles: quelles
perspectives pour l’Afrique subsaharienne au XXIe siècle/l’éducation des filles au 21e siècle devra viser une conjonction de toutes les méthodes d’apprentissage pour permettre aux filles de ne plus être en marge des problèmes du développement de l’Afrique subsaharienne. Un état des lieux 30 ans plus tard?
L’article avait fait suite à la Première Conférence Panafricaine sur la scolarisation des filles tenue à Ouagadougou en 1993. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ! Que de torrents traversés ! Faire carrément un état des lieux dans le cadre d’une interview me semble une véritable gageure dans laquelle je ne me hasarderai pas. Toutefois, force est de reconnaitre que même si la scolarisation universelle reste encore un objectif à l’ordre du jour, énormément a été fait et des résultats obtenus qui sont aujourd’hui indéniables.
Dans un monde en pleine mutation, pensez-vous que les femmes et les filles doivent-elles être au cœur des sujets et des actions portant sur les transitions climatique et numérique aujourd’hui ? Tant que les inégalités dont sont victimes les femmes et les filles ne seront pas annihilées, oui, elles doivent continuer à être au cœur de tous les débats, de la pensée, de la réflexion, des stratégies et des actions dans tous les domaines y compris les transitions climatique et numérique. On ne doit pas perdre de vue les rôles multiples et divers joués par les femmes dans la préservation des écosystèmes. Les laisser au bord de la route au moment des transitions climatique et numérique reviendrait à condamner l’humanité à la punition de Sisyphe.
Est-il vraiment raisonnable de consacrer du temps et des ressources à de grands problèmes systémiques comme les inégalités femmes-hommes?
Peut-on réellement poser cette question vitale en terme de « raisonnable » ? Tant que les inégalités entre les femmes et les hommes, entre tous les humains existent, les seules armes pour les éradiquer sont le temps et les ressources quelles qu’elles soient. Le temps d’une vie doit être le temps de la lutte contre les inégalités. Il en est de même pour les ressources qui ne sont pas toutes réduites aux ressources matérielles.